Créer les conditions nécessaires à l'apparition d'un géant de la tech en Europe. A l'approche de la présidence française de l'Union européenne à partir de janvier 2022, cet objectif est devenu primordial pour les diverses instances politiques ou lobbyistes. Tout d'abord, le plan Scale-Up Europe, initié par 170 leaders européens et 30 associations de start-ups, dont le rapport final a été présenté à Emmanuel Macron et Cédric O en ouverture du dernier salon VivaTech, en juin dernier. Ce manifeste rassemblant 21 mesures, vise l'ambition de créer dix géants technologiques en Europe d'ici 2030.
A cette initiative s'ajoutent plusieurs études, manifestes et rapports issus d'organismes non gouvernementaux, mais dont la parole a un poids certain dans l'écosystème. Citons ainsi France Digitale, qui publie la nouvelle édition de son rapport annuel "United Tech of Europe", ensemble de textes de dirigeants et décideurs européens, qui donnent chacun leurs recommandations pour, également, favoriser l'apparition de géants de la tech européenne.
Parmi ces recommandations, on retrouve souvent les mêmes objectifs : uniformiser la législation pour créer un marché unique en Europe, qui permettrait plus rapidement aux start-ups de se lancer sur un marché européen sans devoir s'adapter aux législations des différents pays, la création d'un visa européen pour attirer les talents, accroître la diversité dans les équipes des start-ups…
Aussi louables que soient ces objectifs, leur pertinence ne semble pas évidente dans le "scaling" d'une start-up originaire d'un pays européen pour devenir un géant, nécessairement à échelle mondiale. Il suffit pour s'en persuader d'observer attentivement le parcours des scale-ups françaises ayant récemment réalisé de très grosses levées de fonds. Ainsi, Sorare, Vestiaire Collective, ou très récemment, Swile, devenues licornes, affichent clairement la visée d'un marché mondial, et des projets de développement enjambant les frontières européennes, aux Etats-Unis, Japon et Amérique du Sud. Et ce alors qu'elles ne sont pas encore présentes dans tous les pays européens... Par ailleurs, que ces start-ups soient basées dans une Europe à la législation complexe n'a pas fait douter leurs investisseurs internationaux, tels la banque japonaise Softbank, de leur capacité à devenir des géants mondiaux.
D'autre part, toutes les start-ups n'ont pas un "scale" européen ou, à fortiori, mondial, comme objectif. Beaucoup de toutes petites structures visent au mieux un marché national, sinon régional. "Scaler n'est pas dans l'ADN de tous les entrepreneurs", me disait récemment le dirigeant d'une scale-up souvent citée parmi les futures licornes. D'autant que toutes les start-ups n'ont pas un domaine d'activité suffisamment pertinent pour, justement, prétendre à une croissance internationale, ni même européenne. Combien compte-t-on, dans le seul écosystème français, de 'copycats' à petit niveau de structures étrangères qui, elles, rencontrent un succès mondial, ou de petites structures à l'ambition locale ?
Beaucoup de licornes françaises ont pu atteindre ce statut sans que la législation européenne ait été modifiée. Néanmoins, de nombreux entrepreneurs estiment l'initiative intéressante pour que la France ne soit pas un "village gaulois" dans un marché mondial, et dans la compétition avec les start-ups américaines, qui bénéficient d'un marché domestique avec une réglementation unifiée dans la plupart des secteurs.
L'objectif européen a, d'ailleurs, récemment été largement estompé des propos du secrétaire d'Etat au Numérique. Suite aux méga-levées de fonds de fin septembre, Cédric O a notamment nuancé les objectifs d'Emmanuel Macron. L'apparition en France d'une dizaine de licornes depuis janvier dernier rend en effet obsolète l'objectif présidentiel de créer 25 licornes d'ici 2025 (objectif quasiment sûr d’être atteint et même dépassé). Cédric O en fixe donc un autre : faire entrer une start-up au CAC 40 d'ici la même date. L'indice des géants français à la Bourse de Paris est néanmoins un classement uniquement national, donc la pertinence à échelle globale est toute relative.
Mais il faut surtout noter une petite phrase qui clôturait le récent discours du même Cédric O lors de la présentation de la rentrée 2021 de la French Tech, et de sa nouvelle directrice. En conclusion, le secrétaire d'Etat n'a pas laissé de place au doute devant l'écosystème, en s'exclamant : "On a envie d'être les meilleurs d'Europe ? Non, on a envie d'être les meilleurs du monde !".... CQFD ?